mardi 23 janvier 2007

Journée d'Etudes sur le Projet de Réforme de la Fiscalité Locale Marocaine

La journée d’études organisée par le Centre Marocain de Conjoncture (CMC) à l’occasion de la présentation du projet de réforme de la fiscalité locale au Parlement, a réuni les animateurs suivants autour de 3 panels :

OUVERTURE

1. Habib EL MALKI : Président du CMC

2. Mohamed EL YAZGHI : Ministre de l’Aménagement du Territoire, de l’Eau et de l’Environnement (MATEE)

3. Noureddine BOUTAYEB : Wali, Directeur Général des Collectivités Locales

I- REFORME DE LA FISCALITE LOCALE : QUELS APPORTS ?

(Président : Mr Mohamed LAHDID, Président de la Commission Fiscale de la CGEM)

4. Larabi JAIDI : Membre du Comité Scientifique du CMC

5. Abdelrhani GUEZZAR : Gouverneur, Directeur des Finances Locales

II- DISPARITES ET SOLIDARITES ENTRE LES TERRITOIRES

(Président : Mr Said CHBAATOU, Président du Conseil Régional de Meknès Tafilelt)

6. Ahmed LAABOUDI : Membre du Comité Scientifique du CMC

7. Brahim KETTANI : Directeur de la Législation, des Etudes et de la Coopération Internationale à la Direction Générale des Impôts

III- FISCALITE LOCALE ET DECENTRALISATION

(Président : Mr Salah HAMZAOUI, Président du Conseil Régional de Tadla Azilal)

8. Abdelali DOUMOU : Membre du Comité Scientifique du CMC

9. Samir TAZI : Adjoint au Directeur du Budget, chargé de la Coordination des Structures Sectorielles et Synthèses
1. Dans son intervention introductive à la journée d’études, Mr EL MALKI a mis l’accent sur le dernier discours royal d’Agadir qui constitue un discours de doctrine et une esquisse de ce que doit être l’Etat de demain.

Le discours royal a-t-il précisé, a insisté sur la nécessité d’accélérer le processus de déconcentration et d’approfondir le processus de décentralisation.

Mr EL MALKI a relevé les points positifs suivants :

- acheminement vers plus d’autonomie ;

- recherche de nouveaux équilibres entre les acteurs ;

- performance territoriale et pôles régionaux ;

- banque d’idées et de données au MATEE ;

- lancement de grands projets structurants ;

Notre intervenant a estimé utile de mettre en place un nouveau modèle de croissance régionalisée pour asseoir plus fortement le développement durable.

Il a ajouté que la présente réforme fiscale malgré son caractère local, offre néanmoins l’opportunité d’une amorce très profonde d’une réforme des finances publiques.

La présente réforme actuellement en discussion au Parlement, consacre le fait local et son émancipation, et permet d’asseoir la démocratie locale, la démocratie de proximité.

Elle autorise une amélioration du rendement, une plus grande harmonisation et une plus grande autonomie financière.

Mr EL MALKI a rappelé que l’enjeu fiscal est un enjeu de pouvoir et qu’une démocratie vivante ne peut réussir qu’en générant les voies et moyens pour continuer.
2. Le Ministre de l’Aménagement du Territoire, de l’Eau et de l’Environnement, Mr EL YAZGHI, a souligné dans son intervention introductive à cette journée d’études, que la cohésion sociale et territoriale ainsi que l’efficience économique sont un enjeu majeur.

Il a souligné que c’est le produit d’un compromis entre la poursuite d’objectifs contradictoires.

Le Ministre a noté les inégalités fiscales disparates qui caractérisent notre paysage et relevé que la logique de responsabilisation des CL se heurte à des mécanismes financiers.

Tout ceci constitue un enjeu pour l’aménagement du territoire, appelant une nouvelle politique d’aménagement du territoire.

Le système des transferts est donc décisif, a poursuivi le Ministre en invitant à s’intéresser à la diffusion territoriale de la croissance à travers :

- des pôles régionaux dynamiques ;

- une cohésion sociale consolidée ;

- et des infrastructures rationnellement réparties.

Le Ministre a terminé son intervention introductive en dégageant les lignes de force d’une réforme devant s’articuler autour de la recherche d’un équilibre, la mise en place d’un système fiscal moderne et un meilleur partage des recettes fiscales entre les différents niveaux d’administration.
3. Le Directeur Général des Collectivités Locales, Mr BOUTAYEB a quant à lui rappelé que le principal grief adressé à la fiscalité locale dont le projet de réforme était déposé au Parlement aux fins de sa discussion et adoption, était sa complexité.

Il a informé l’audience qu’un road show régional avait été organisé pour emporter l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes au projet de réforme avant sa présentation aux Elus de la Nation.

Le Directeur Général a relevé que l’essentiel des ressources mises à la disposition des CL provenait des transferts de parts d’impôts d’Etat (30% de la TVA, 1% de l’IS et 1% de l’IGR).

Outre la simplification des règles et procédures d’assiette et de recouvrement, le projet de réforme vise la réduction du nombre d’impôts et taxes sans toutefois augmenter la pression fiscale, leur regroupement dans un seul texte de loi et l’harmonisation de la fiscalité locale avec la fiscalité de l’Etat en privilégiant la généralisation du régime de déclaration spontanée.

Une nouvelle culture fiscale est donc initiée.

Pour résumer, le Directeur Général a mis l’accent sur les 3 points suivants :

a) Approfondissement du processus de décentralisation au moyen des instruments ci-après :

o loi fiscale ;

o loi financière ;

o intercommunalité ;

o unité de la ville ;

o amélioration du statut du fonctionnaire communal.

b) Mise à niveau de l’administration locale à travers :

o la formation ;

o la motivation.

c) Accélération du processus de déconcentration par l’accompagnement des Villes sur les plans :

o technique ;

o financier.
4. L’introduction au premier panel relatif aux apports de la réforme de la fiscalité locale a été réalisée par Mr JAIDI, qui a d’emblée souligné que le système fiscal local constitue un potentiel à valoriser. Pour Mr JAIDI, les CL ont peu de prise sur leurs dépenses ainsi que sur leurs recettes, en invitant à la prudence quand la question de l’autonomie est soulevée (est-elle réelle ou reste-t-elle théorique ?)

Il a mis l’accent dans son intervention sur les points suivants :

- cohérence du système d’imposition ;

- réflexion sur les transferts de TVA, la péréquation et l’intercommunalité qui enregistre un retard dans son incitation au moyen de partenariats à développer ;

- dysfonctionnements liés à la gestion des taxes ;

- fortes disparités fiscales ;

- problèmes communs relatifs à la constatation de la matière fiscale et à l’inexistence de droits de poursuite ;

- enjeux de la réforme : exemptions/abattements et actualisation des valeurs locatives ;

- relations financières entre l’Etat et les CL ;

- périmètres à stabiliser ;

- impôts locaux à clarifier ;

- financement des transferts de compétences ;

- contenu à donner à l’autonomie ;

- régulation de la pression fiscale ;

- contribution à une meilleure couverture de l’investissement local.
5. Mr GUEZZAR, Directeur des Finances Locales a remarqué que :

- une même lecture est faite au niveau du cadrage politico-institutionnel ;

- une même lecture est faite aussi au niveau des objectifs et des moyens.

Une étape préliminaire a été assignée au projet de réforme de la fiscalité locale, à savoir la simplification et l’efficacité.

Des réponses concrètes ont été par ailleurs apportées aux problèmes soulevés.

Mr GUEZZAR a signalé que la fiscalité est le mode essentiel de financement des services et équipements publics et qu’à ce titre, le Maroc a fait le choix de la fiscalité propre en allant vers une gestion responsabilisante, rappelant que deux écoles de pensée alimentent la doctrine de la décentralisation fiscale : le courant fiscaliste et le courant transfériste.

Deux objectifs fondamentaux ont donc sous-tendu le projet de réforme :

- amélioration du rendement au moyen de la simplification et de l’efficacité ;

- mise en place d’un système fiscal propre en phase avec l’évolution de la décentralisation et répondant aux exigences de bonne gouvernance.

Par ailleurs, la commission tripartite (DGCL, DGI, TGR) qui a planché sur le projet de réforme, a été animée par l’ambition de relever la part de la fiscalité locale (43%) dans les ressources globales :

- Transferts (TVA, IS, IGR) : 57%

- Fiscalité locale dont : 43%

* Impôts affectés (taxe urbaine, taxe d’édilité et patente) : 20%

* Autres ressources propres : 23%

Mr GUEZZAR a précisé que les impôts affectés sont des impôts locaux gérés par l’Etat, notamment la DGI qui établit leur assiette, leur recouvrement étant assuré par la TGR.
L’établissement de l’assiette des autres ressources propres est confié directement aux CL, leur recouvrement se faisant au moyen des régies de recettes et grâce aux services de la TGR.

L’intervention de Mr GUEZZAR s’est articulée autour des deux axes suivants :

a) Simplification et amélioration du rendement au moyen des mesures ci-après :

o réduction du nombre de taxes ;

o réaménagement de certaines taxes et redevances.

C’est ainsi que le nombre de taxes a été réduit à 17 contre 42 auparavant, au profit des catégories de CL suivantes, tandis que 8 taxes dont le rendement était inférieur à 30 millions de dirhams ont été supprimées :

- communes (urbaines et rurales) :11

- préfectures et provinces : 3

- régions : 3

La patente a été simplifiée et son barème ne compte plus que 4 tranches avec des taux allant de 0% à un multiple de 10% - soit 10%, 20% et 30%.

Le même barème a été appliqué à la taxe urbaine.

Une simplification des procédures a été entreprise en procédant à une généralisation du régime déclaratif qui est moins coûteux pour l’administration, et introduit une culture nouvelle.

Par ailleurs, ces procédures ont été unifiées au niveau des majorations, sanctions et assiette.

Outre le regroupement dans un texte unique de toutes les dispositions auparavant dispersées dans plusieurs textes, une mise à niveau de l’administration fiscale sera opérée au moyen du renforcement de ses structures portées à trois : assiette, recouvrement et contentieux.

Enfin, l’accent sera aussi mis sur l’élément humain en procédant à la formation et à la motivation des ressources humaines.

b) Adaptation de la fiscalité locale au contexte de la décentralisation

Cette adaptation a été atteinte au moyen du renforcement :

- du pouvoir fiscal des élus locaux grâce à la modulation des taux et tarifs à l’intérieur d’une fourchette qui comprend un plancher et un plafond ;

- des prérogatives des CL en matière de contrôle et de vérification.
6. Le deuxième panel chargé d’étudier les disparités et solidarités entre territoires, a été introduit par Mr LAABOUDI qui a annoncé la publication d’une lette du CMC (n° 174 du mois de décembre 2006) dédiée à cette question de la réforme de la fiscalité locale et de ses diverses implications.

Mr LAABOUDI a procédé à l’évaluation du potentiel fiscal régional.

Il a indiqué que les ressources des CL sont passées à 14 ,5 milliards de dirhams en 2004 contre 3 milliards de dirhams en 1988, notant que le poids des ressources propres entendues au sens restreint (hors taxe urbaine et patente) est passé à 30% en 2004 contre 54% en 1988 soit une chute de 24 points.

En 2004, ces ressources ont été partagées entre les différentes catégories de CL comme indiqué ci-après :

- communes urbaines : 60%

- communes rurales : 23%

- préfectures et provinces : 13%

- régions : 4%

Le cadre d’analyse de l’évaluation du potentiel fiscal, et notamment le ‘ranking’ régional, ont permis de découvrir que le potentiel fiscal local au Maroc se situait en 2004 entre 19 et 20 milliards de dirhams, dégageant ainsi un différentiel susceptible d’être mobilisé compris entre 5 et 6 milliards de dirhams.

C’est ainsi que le ‘ranking’ régional a autorisé le classement des régions par ordre décroissant, le Grand Casablanca se plaçant en tête des 16 régions du Royaume avec un ranking de 22,8 et Oued Eddahab Lagouira à la queue des régions avec un ranking de 1,8 ; les régions de Marrakech et Rabat ayant un ranking respectif de 10,6 et 8,8.

Cinq (5) pôles ont pu être identifiés par ordre de dynamisme décroissant, la place du premier pôle étant occupée par la seule région du Grand Casablanca, la deuxième place étant occupée par trois (3) régions (Marrakech Tensift Al Haouz, Rabat Salé Zemmour Zaer et Souss Massa Draa).

En conclusion, Mr LAABOUDI a reconnu que le modèle construit a besoin d’être dynamisé mais il a permis de détecter une forte corrélation entre le potentiel économique et le manque à gagner fiscal.

Il a enfin recommandé la mise en place de PIB régionaux et de comptes régionaux.
7. Mr KETTANI a mis le doigt sur l’ampleur des tâches dévolues aux CL.

La lecture de la nouvelle charte communale de 2002 et notamment ses dispositions contenues dans les articles 35 à 44 « terrifie » quand on pense aux charges imputées aux communes.

Il reste l’appel à l’Etat central grâce à sa TVA, son IS et son IGR.

Mr KETTANI a clôturé les interventions du deuxième panel en observant que les mécanismes actuels de transfert sont d’une « complexité inouïe ».
8. En introduisant le troisième et dernier panel, Mr DOUMOU a invité l’auditoire à ne pas tomber dans un leurre en indiquant que les problèmes sont ailleurs et en précisant qu’il ne faut pas croire que la réforme de la fiscale locale est la panacée.

Mr DOUMOU a apporté un éclairage sur la notion de transfert (Etat- CL) en distinguant 2 périodes :

- jusqu’en 1995 : le système de transfert favorisait le financement du fonctionnement, sa « perversité » ayant été révélée à la faveur du poids atteint par les subventions de fonctionnement (60% en 1995 contre 25% en 1988) et trahie par les comportements de sur-estimation des prévisions de dépenses et de sous-estimation des prévisions de recettes, adoptés par les conseils de l’époque.

- à partir de 1996 : système de transfert adossé sur les recettes et offrant plus d’équité à travers les 3 critères :

· forfait (approche solidaire) ;

· potentiel fiscal ;

· effort fiscal.

Ce système de transfert a certes contribué au renforcement de la décentralisation, mais il n’a pu générer une mobilisation véritable.

L’Etat a transféré des ressources progressivement, a poursuivi Mr DOUMOU en notant que l’autonomie financière qui n’est pas synonyme d’autonomie de gestion, ne doit pas nous induire en erreur.

Le transfert est donc incontournable lorsque les territoires sont marqués par de grandes disparités.

Le système de transfert de ressources est articulé à un transfert de compétences, et les CL n’ont pas les prérogatives administratives pour assumer les responsabilités dévolues par la loi.

Cette responsabilité donnée par la loi est absolue mais les CL qui ont un budget propre n’ont aucune prise sur les politiques sectorielles (santé, éducation …)

Comme l’a relevé Mr Saïd CHBAATOU, les politiques locales sont sanctionnées par les élus tandis que les politiques sectorielles ne le sont pas.

D’où une absence de cohérence et une harmonisation à établir entre ces deux types de politiques.

Mr DOUMOU a poursuivi en prônant le partenariat et en notant que ce qui peut régler le problème des CL, c’est le progrès dans la déconcentration.

La programmation sectorielle pour Mr DOUMOU, doit devenir une programmation territoriale et les Walis et Gouverneurs devraient devenir les sous-ordonnateurs des dépenses sectorielles.

Mr DOUMOU a conclu son intervention en citant l’exemple des CL de la Région de Marrakech-Tensift-Al-Haouz dont il préside le conseil, qui ont dépensé en investissements, un milliard de dirhams alors que les dépenses en investissements de ces CL et des ministères réunis ont atteint 5,5 milliards de dirhams, soit un volume de 4,5 milliards échappant au contrôle des CL.

Pour palier à la faiblesse du contrôle de l’exécution de toutes ces dépenses publiques, Mr DOUMOU recommande l’institution de lois de finances régionales.
9. La dernière intervention clôturant ce troisième panel et la journée d’études, a permis à Mr TAZI de donner des précisions concernant l’action publique au service du développement territorial.

Cette action s’est traduite par le renforcement de la cohésion sociale grâce à l’allocation aux secteurs sociaux de crédits budgétaires dont le poids est passé à 55,5% en 2006 contre 49,3% en 2004 et 41% en 1992.

Elle s’est déclinée à travers la dynamisation des secteurs productifs et la mise en œuvre d’une nouvelle politique d’aménagement du territoire : développement durable, équitable et harmonieux.

Mr TAZI a mis en exergue quatre préoccupations relatives à cette action publique au service du développement territorial :

- développement humain (INDH) ;

- amélioration de l’accès aux services sociaux de base : habitat, santé … ;

- renforcement des équipements de base : PERG, PAGER, PNCRR … ;

- moteurs de développement localisés grâce à des projets structurants (Bouregreg, Tanger Med, Plan Azur, parcs et zones industriels, programme autoroutier).

Les instruments d’intervention mobilisés par l’Etat sont :

- Entraide Nationale ;

- ADS ;

- Promotion Nationale ;

- Agences de Promotion des Provinces du Nord, du Sud et de l’Oriental ;

- Agences Urbaines, Agences de Bassins, AREF ……

Mr TAZI a conclu son intervention en faisant les propositions d’optimisation de l’action publique, ci-après :

- recours au partenariat et à la contractualisation ;

- approfondissement du processus de déconcentration ;

- mobilisation de l’ensemble des acteurs.